Visiter des détenus radicalisés - Témoignage d’un visiteur

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Visiteur depuis huit ans à la MA de Fleury-Mérogis, je visite presqu’exclusivement des détenus radicalisés depuis bientôt trois ans. Ayant vécu quelques années en terre d’Islam où la charia était appliquée, et après avoir suivi une journée de formation sur ce sujet avec l’Administration Pénitentiaire, je me suis donc « concentré » sur ce type de profil.

Les visites se passent exclusivement dans des parloirs spécifiques, situés à l’étage où sont regroupés les TIS (Terroristes Islamiques). Ils sont extraits de leurs cellules par des surveillants fort équipés en termes de protection corporelle, il y a clairement de l’électricité dans l’air ! Ce quartier est une prison dans la prison.

Les sujets que nous abordons sont multiples ; certes la religion peut revenir sur la table régulièrement, mais comme tout détenu, comme tout homme, ils ont eu une vie remplie de passions, de banalités, de drames, de remises en question, de moments de joie, jusqu’au jour où…

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Avec eux, j’essaye de rendre mes paroles le plus « neutre » possible ; elles consistent à tenter d’amoindrir la notion d’imperfection qu’un idéal peut provoquer, et de honte de l’autre. Et en parallèle, faire prendre conscience de sa personnalité sans « écran de fumée », du droit à l’erreur, sans punition automatique (mais n’étant pas psychologue, je ne vais pas trop loin dans ces sujets !). Certains détenus pensent que je suis là pour les juger, ou pour les dissuader d’avoir des idéaux ; mais ça se détend vite. Et de temps en temps, au bout d’une heure de parloir, on arrive à conclure qu’on peut trouver tout son intérêt à une société dans sa banalité !

Bien que face à des hommes convaincus, je me retrouve toujours face à des individus qui ont une certaine forme de sensibilité. Un comportement qui peut alors paraître un peu « schizophrénique » : capable de commettre l’impensable (et de l’assumer pour certains), et aussi de parler d’une vie pas si lointaine où les fêtes rythmaient le quotidien. Prêts à « prendre perpète » pour une cause, tout en ayant des étoiles dans les yeux quand ils parlent de leur mère, de leurs plats qui leur manquent, des soirées entre potes, des nanas qu’ils draguaient sans retenue !

Côté Administration Pénitentiaire, on peut dire qu’elle marche sur des œufs. Les dossiers traînent en longueur, par exemple une demande pour pouvoir apporter un simple livre peut prendre plusieurs mois. L’islam, et sa version 'islamiste', est devenu un sujet de société, où personne n’a d’avis mitigé, tout le monde a un avis tranché. La justice elle, n’a pas droit à l’erreur dans son jugement, malgré la sensibilité que représente ce sujet. Et in fine, elle reste très prudente.

Au cours de leur détention, les détenus passent par le QER, Quartier d’Evaluation de la Radicalisation, une sorte de phase d’observation de quelques mois, pour juger de la « ré-intégrabilité » possible, ou non, de tel ou tel détenu. Mais le risque d’être jugé avec une longue peine à la clé, reste grand. La réinsertion, qui est une ligne d’horizon de notre action en tant que Visiteur de prison, semble donc bien loin !

Mais nos échanges en parloir se passent toujours bien, on parle de tout, sans pression. J’aimerais bien que ces détenus fassent un parallèle, voire une extrapolation : s'ils se disent que les Visiteurs de Prison ne sont pas leurs ennemis, mais qu'ils sont « comme tout le monde », alors peut-être pourraient-ils avoir un regard moins critique de notre société ?

T. Visiteur à Fleury-Mérogis

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23/12/2020

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